Manifeste des Digital humanities : un mouvement international ouvert aux professionnels de l’information

 

Date de publication : 25/08/2011

L’arrivée de la micro informatique à la fin des années 1960 puis du web dans les années 1990 a bouleversé le monde des bibliothèques, des archives et de la documentation. Dans les institutions publiques, l'usage de l'informatique n'a pas été sans heurts : une multitude de bases de données ont été créées mais un trop grand nombre a disparu ; différentes vagues d’informatisation se sont enchaînées avec des pertes qui n'ont jamais vraiment été évaluées ; si les professionnels de l’information ont su très vite intégrer l'usage des technologies numériques dans leurs pratiques quotidiennes, ils se sont toutefois souvent trouvés souvent bien seuls face à la décision de certains choix techniques.

Au moment où la numérisation du monde est en cours, les professionnels de l’information s'interrogent sur la place qu'il vont avoir et le rôle qu'il vont pouvoir jouer dans ce nouveau système d'information globalisé1. Ils ont besoin d'appréhender les conditions de production et de diffusion des savoirs qu'induit ce phénomène irréversible. Au delà de questions techniques, le monde des bibliothèques, de l’archive et de la documentation est en quête de continuité, de compréhension et d'échanges. C’est dans cette dynamique que se sont bâties les Digital humanities ou Humanités numériques2. Elles sont devenue aujourd’hui une discipline transversale, identifiée dans de nombreuses universités à travers le monde, avec un corpus de méthodes, de concepts et d’outils cohérent, transversal à l’ensemble des sciences humaines et sociales.

En Amérique du Nord, depuis 1994, le CHNM (Centre pour l'histoire et les nouveaux médias / Center for History and New Medias) développe régulièrement de nouveaux projets. Parmi les outils phares qu’il a créé, je citerai le logiciels de bibliographie Zotero, devenu incontournable dans les sciences humaines et sociales et Omeka utilisé - par exemple - par la bibliothèque universitaire de Rennes 2 pour présenter sa bibliothèque numérique. En France, les humanités numériques sont seulement en train d’émerger3. En 2010, une « non conférence »4 a eu lieu, dans l'objectif de cimenter une communauté jusqu'ici éparpillée sur le territoire national. Pendant deux jours, une centaine de chercheurs, de doctorants et de professionnels des musées, des archives, de la documentation et des bibliothèques ont réfléchi à la façon dont ils pourraient développer ce domaine, faire en sorte que des compétences spécifiques, pointues, et transversales, puissent émerger et être identifiées. L’aboutissement de ces travaux a été la rédaction collective d’un manifeste des digital humanities aujourd'hui traduit en 12 langues5.

Plusieurs axes se dégagent de ce manifeste qui présente les humanités numériques comme une transdiscipline, porteuse de méthodes, de dispositifs et de perspectives heuristiques liés au numérique dans le domaine des Sciences humaines et sociales, des Arts et des Lettres, des Sciences de l’information et de la communication. En s'appuyant sur les acquis et les savoir-faire propres à ce domaine, les humanités numériques ont la volonté de mobiliser les outils et les perspectives du champ du numérique, dans l'objectif de renforcer la qualité de la recherche, l’enrichissement du savoir et du patrimoine collectif. Ce manifeste présente avec précision la démarche de cette toute jeune communauté, n’hésitez pas après sa lecture à rejoindre les signataires !

Véronique Ginouvès
http://phonotheque.hypotheses.org

 

1 Lire à ce propos la traduction commentée que fait sur Pintiniblog Fabrizio Tinti de l'article de Brian T. Sullivan (bibliothécaire-formateur, Alfred University) dans The Chronicle of Higher Education (Etats-Unis) “Death by Irony: How Librarians Killed the Academic Library” ou “Comment les bibliothécaires ont tué la BU ?”, 5 janvier 2011 http://pintiniblog.wordpress.com/2011/01/05/comment-les-bibliothecaires-ont-tue-la-bu/

2 Le Manifeste a conservé le terme anglais de « digital humanities » car la volonté est de s’ouvrir à l’ensemble des sciences humaines sociales or, la notion d’ « humanités » en France doit encore évoluer vers une amplitude beaucoup plus large.

3 Le laboratoire du Cléo, créateur du logiciel d’édition électronique Lodel, est un des pionniers de ce mouvement en France. Cette non-conférence a d’ailleurs été préparée par un rapport rédigé par Jean-Paul Caverni, président de l'université de Provence, et de Marin Dacos, directeur du Cléo, publié en octobre 2009 sur le thème “Construire les Digital humanities en France. Des Cyber-infrastructures pour les Sciences humaines et sociales” [En ligne] http://hal.archives-ouvertes.fr/sic_00485477/

4 Une “non-conférence” ou “barcamp” renvoie à l'organisation d'ateliers participatifs où le contenu est fourni par les participants qui doivent tous, à un titre ou à un autre, apporter quelque chose au Barcamp.

5 Le Manifeste est déjà traduit en 12 langues et huit sont en cours de traduction ou en attente.