02/12/10 - Fréquentations et emprunts en bibliothèques compte rendu

 

Présentation de la journée et des intervenants par Catherine RENOSI, Directrice de la Médiathèque de Côte D’Or.

Pourquoi une journée d’étude sur ce thème ?
Constat : stagnation de la fréquentation des bibliothèques municipales
Questions : quelles sont les raisons de cette stagnation, où chercher de nouveaux publics, comment les conquérir et les fidéliser ?
Quelles sont les pistes de réflexion ?

• Partenariats et action culturelle :
Expérience de la Cité du Livre d’Aix en Provence, et implication de la bibliothèque dans le projet «Marseille capitale européenne de la culture 2013» par Gilles EBOLI Directeur de la Bibliothèque Municipale à Vocation Régionale de Marseille, directeur jusqu’en 2008 de la Cité du Livre d’Aix en Provence.

La Cité du Livre d’Aix en Provence :
(Ouverture en décembre 1993, recul suffisant pour l’analyse)
Importance capitale des partenariats et de l’Action Culturelle dans le cadre d’un projet d’établissement.
Les bibliothécaires se sont interrogés sur le modèle de bibliothèque qui pouvait surgir suite à la révolution numérique. Cette question prospective d’une bibliothèque-modèle revient régulièrement.

Modèle basé sur trois axes où l’Action Culturelle a une large place :
1. - La bibliothèque est hybride :
Elle est matérielle et immatérielle. Internet n’est pas un nouveau support mais une nouvelle bibliothèque dans laquelle les services et les collections sont numérisées.
2. - Elargissement du public :
Suivre et amplifier le mouvement de la profession des collections vers les publics.
C’est toujours légitime de sélectionner, de décrire des collections, mais celles-ci doivent être utilisées par le public : d’où une réflexion sur les horaires d’ouverture, les actions hors les murs, les publics spécifiques.
3. - La bibliothèque devient «un lieu de vie, et non plus des stocks de vie» au sein de la Cité du
Livre :
Quelques unes des nombreuses questions qui se sont posées :
Comment un réseau de bibliothèques peut-il irriguer un territoire ?
Comment faire coexister l’espace de stockage, les rayonnages avec un espace conçu comme un «lieu de séjour» pour les lecteurs ?
Comment faire évoluer la bibliothèque vers un lieu de rencontre et de débat avec la création ?
Quelle est la place de l’action culturelle dans un projet d’établissement ?

Moyens mis en œuvre :
Alors que la bibliothèque étouffe dans des locaux anciens et exigus, la Cité du Livre fait l’objet d’un projet d’urbanisme qui requalifie une friche industrielle au cœur de la ville.
La D.R.A.C a le projet de mettre en scène toute la chaîne du livre (ateliers d’écriture, ateliers d’imprimerie, activités éditoriales).
Faire vivre ensemble les piliers de la culture locale, favoriser la concrétisation de leurs objectifs communs, marier l’aide et le soutien à la création des associations partenaires et la diffusion, rôle pris en charge par la bibliothèque.
Formalisation des liens avec les associations sous la forme de contrats d’objectifs.
Mise en synergie financière.
Les projets d’action culturelle des associations sont soumis à la validation du directeur de la BM qui est le garant de la cohérence de l’Action Culturelle.
Budget important, une équipe de 100 personnes, mise en avant d’une logistique, locaux exceptionnels, salles de spectacles, de conférences, cinéma, auditorium, 500 rendez-vous annuels, programme d’activités, journal du site, fête du livre (20 000 visiteurs) permettant une véritable rencontre entre les écrivains et le public, collaboration avec des prestataires spécialisés dans le domaine de la communication. Charte de la programmation culturelle créée à l’occasion.

L’objectif était d’avoir en premier lieu un impact durable qui structure l’image de l’établissement dans son ensemble et par contrecoup la bibliothèque.

Marseille : La Bibliothèque Municipale à Vocation Régionale de l’Alcazar :
Contexte très différent : BMVR de 300 personnes, 7 annexes, 2 millions de prêts.
Fréquentation en hausse, explosion des prêts à l’ouverture puis recul d’où la mise en œuvre d’un projet d’établissement axé sur les services et non pas sur les collections : prolongations par téléphone, réservations en ligne, quotas de prêts augmentés, prise en compte des demandes des publics. Idée que les lecteurs doivent retrouver à la bibliothèque le «bain numérique» qu’ils ont à la maison. Rôle de médiation pour la recherche internet.
Atouts : la bibliothèque est un vrai lieu de rencontres et d’échanges : accès gratuit, accueil, débats, espace presse… les publics se sont appropriés les lieux sans difficulté, surtout dans les secteurs jeunesse. (Haute fréquentation mais peu d’inscrits, mixité des publics, les «séjourneurs» tendent à remplacer les emprunteurs.)
Mais les difficultés demeurent pour mettre en place une Action Culturelle commune, pour fédérer et faire fusionner les actions culturelles déjà en place dans un projet plus vaste, pour faire adhérer les élus aux propositions des professionnels.

• Ce que l’on compte et comment on compte :
A la lumière des statistiques annuelles des bibliothèques publiques, quelles corrélations entre fréquentation et emprunts, et quelles évolutions ?
Par Denis CORDAZZO : chargé de mission «évaluation» au Ministère de la Culture et de la Communication, Service du Livre et de la Lecture.

La collecte des chiffres n’est pas simple, pose le problème de la pédagogie et de la façon dont les questions sont posées et peuvent être interprétées.
La pertinence des indicateurs est capitale pour que les statistiques permettent aux élus de prendre des décisions en connaissance de cause.
-Qu’est ce qu’un échantillon ?, quel type d’échantillon choisir ?
-définir l’objectif pour pouvoir donner des chiffres parlants
-difficulté à comparer des bibliothèques très différentes
-avoir une méthodologie
L’évaluation est difficile, et la notion d’usager est en cours de révision. (notion de «fréquentant» introduite en 2004)
Voir les indicateurs minimaux de l’Unesco dans le questionnaire envoyé aux bibliothèques et les protocoles d’enquêtes retenus. Voir aussi la typologie ADBDP.
Rappel de l’importance des rapports d’activité.
La base de données ne vaut que si les échantillons sont constants.
2009 : un nouveau questionnaire ouvert sur les nouveaux usages numériques et l’action culturelle a été envoyé à 4400 bibliothèques mais le ministère vise les 17 000 différentes bibliothèques et points lecture (questionnaire abrégé pour les petits établissements)
2011 : projet de l’Observatoire avec la BPI (site web interactif)

La restitution de ces données statistiques nationales sont doublement attendues dans le contexte actuel de sinistrose mais actuellement leur accès, sur le site web, n’est pas aisé.


• Vers une nouvelle bibliothèque :
Par Claude POISSENOT, sociologue à l’Université Nancy 2, créateur du blog «Penser la nouvelle bibliothèque» et auteur de «La nouvelle bibliothèque» (Territorial, 2009) et de «Usages des bibliothèques» (Enssib, 2005).

[Retour en arrière sur l’exposé précédent sur les statistiques : besoin de définitions à opposer aux impressions, au ressenti ; c’est un outil et non pas un objectif. Que fait-on de cet outil ?].

Le blog : «penser la nouvelle bibliothèque» :
Il est conçu comme un travail d’échanges entre sociologues et bibliothécaires, pour évoluer vers une nouvelle bibliothèque, centrée non plus sur les collections mais sur les publics.
La bibliothèque ne peut plus être comme elle a été, soit elle ferme, comme c’est le cas dans certains pays, soit elle reste un outil intéressant qui peut apporter beaucoup à la collectivité, mais elle ne peut pas continuer d’exister comme aujourd’hui.
Les faits sont têtus :
érosion de la fréquentation en particulier des 11-17 ans
érosion d’un public qui jusqu’à maintenant lui était acquis (population diplômée)
baisse d’attractivité, pas seulement une baisse des inscriptions, mais aussi baisse des entrées. Ces chiffres en baisse interrogent la bibliothèque sur sa capacité à participer à la reformulation de ce qu’est la culture aujourd’hui.
Cette capacité apparaît fragilisée.
Quelles sont les références d’une génération, qu’est ce que la fiction chez les jeunes, les adolescents aujourd’hui : mangas, bandes dessinées, séries TV, films, jeux vidéos. Ces nouveaux médias ne sont pas dans les bibliothèques. Le virage manga a été raté, par rapport à ce média l’erreur consiste à penser que les pratiques culturelles juvéniles sont liées à l’âge plutôt qu’à une génération, or, les personnes de 35 ans aujourd’hui continuent de lire des mangas, idem pour les jeux vidéos. Ce fait est exemplaire de la difficulté de la bibliothèque à se régénérer, son pronostic vital est engagé, voir les menaces de fermeture sur les bibliothèques anglaises.

Le défi à relever :
Reformuler le discours de la bibliothèque, pour lui donner une nouvelle assise fondée sur une nouvelle relation avec la population et les élus.
Dans le discours quelque chose ne marche plus. Cette institution s’est développée sur l’idée de l’éducation, de la formation du citoyen : il fallait instruire le peuple pour l’émanciper des forces obscures (religions, croyances populaires), et de la soumission au marché. La bibliothèque a été conçue comme un lieu où les usagers allaient rencontrer la raison, d’où l’importance donnée aux collections, un lieu avec une mission supérieure qui consistait à faire sortir ses lecteurs de l’obscurantisme. Cela ne marche plus. On est passé d’une société individus/raison /nation à une conception de la société dans laquelle les individus sont des personnes. Etre une personne, c’est décider pour soi-même, être souverain idéalement : «c’est mon choix, c’est le mien», il correspond à ma personne et non pas au discours de l’institution. (voir l’exemple du mariage). Les individus se pensent comme des personnes, ce qui implique une relation différente au monde, «j’ai besoin du regard des autres pour valider ma personne» (facebook). Tout cela participe à l’irruption de l’usager concret comme une personne, avec ses manies, ses habitudes, un corps. «Le lecteur n’est plus un cerveau sur jambes, ni une pâte à modeler».
Faire entrer les médias et les références qui échappent à l’école, et ne pas passer l’audiovisuel à la moulinette de la raison, (Johnny Hallyday reste une référence générationnelle)
Derrière les nouveaux supports se négocie un nouveau rapport aux pratiques culturelles, une profonde revendication d’émancipation se manifeste.

L’idéal de l’usager à atteindre :
Il faut partir de « comment sont les gens » pour redonner son sens à la Bibliothèque, sans chercher à résister à la dématérialisation des documents.
La bibliothèque doit penser à ce que devrait être idéalement les personnes qui pourraient la fréquenter. La bibliothèque est condamnée à être dans la séduction. Elle est un espace de socialisation qui incarne la collectivité formée de toutes ces personnes, cela nécessite de mettre ensemble des lecteurs qui ne veulent pas forcément renoncer à lire dans le silence et d’autres qui veulent pouvoir parler à voix haute. (aspirations qui peuvent parfois être contradictoires au sein de la même personne). Espace dans lequel doivent pouvoir se rencontrer des personnes différentes. La bibliothèque c’est être libre ensemble.

Mettre en avant les expériences qui marchent :
«lire à la plage», «la sieste littéraire» (Albi : entre 12h00 et 14h00 on raconte une histoire aux lecteurs), exporter en dehors de la bibliothèque les actions pour lesquelles on manque de place. La bibliothèque doit être souple, pas d’expositions pendant les révisions du bac par exemple, pour mettre la plus grande partie des locaux à la disposition des lycéens.

• La bibliothèque, 3ème lieu :
Vers un modèle de bibliothèque, lieu de vie, fédératrice des usagers autour de projets culturels et sociaux par Mathilde SERVET, conservateur à la BnF et auteur du mémoire ENSSIB : «les bibliothèques troisième lieu»

Le sociologue urbain Ray Oldenburg, aujourd’hui professeur émérite de l’université de Pensacola en Floride, a forgé le concept de « third place » ou « troisième lieu » en français au début des années 1980 pour décrire des endroits où les gens peuvent se réunir et entrer en interaction. Le concept de troisième lieu se nourrit de ces différentes approches. Son appellation indique sa démarcation d’avec le premier lieu, correspondant au foyer et le second lieu, domaine réservé au travail. Ces endroits se distinguent les uns des autres de par leur
localisation et leurs fonctions. Les troisièmes lieux, quant à eux permettent à une vie communautaire informelle de s’épanouir
(voir mémoire de DCB 17 Mathilde Servet : http://www.bibliobsession.net/2009/05/19/a-lire-les-bibliotheques-troisieme-lieu-par-mathilde-servet/)

Ces lieux ont les caractéristiques d’êtres simples, accessibles, accueillants avec un fort potentiel social et de pouvoir accueillir des activités non nécessairement prévues = home away from home

La bibliothèque traverse une crise identitaire, de multiples enquêtes montrent un besoin de basculement vers un autre modèle plus proche du café et de l’agora, gratuit, accessible, largement ouvert, qui permette la cohabitation de publics différents. Les bibliothèques ont toujours eu ses qualités, ont toujours été des 3ème lieux, publics et gratuits, propices à la mixité sociale. Elles peuvent développer encore davantage cette qualité. La notion de bibliothèque/couteau suisse apparaît, endroit proposant des services démultipliés, des cheminements variés vers la culture, mis en concurrence avec l’univers marchand.
(voir les idea stores en Grande Bretagne : Idea Store est un nouveau concept de bibliothèques, ouvertes sept jours sur sept, en libre-service, avec crèche et café, combinant services d’informations, de formation continue, de rencontres et de loisirs au cœur du quartier de Tower Hamlets à Londres. )
Voir aussi les bibliothèques phares des Pays Bas, L’OBA d’Amsterdam, la DOK de Delft (devise : « notre meilleure collection, c’est les gens »). Ces bibliothèques sont de véritables laboratoires bibliothéconomiques, des cellules de veille.

Quelques principes : environnement accessible et attractif, espaces flexibles, design qui mélange le luxe, la fantaisie, le ludique, qui recrée l’ambiance familière du foyer. On injecte de l’intime dans l’espace public.
« Zoning » : alternance d’espaces dédiés à l’étude et d’espaces plus informels, la configuration reste flexible, les décors changent. L’espace s’inspire des recherches et des travaux sur les différents types d’intelligence humaine. Cela demande un budget conséquent acr les décors et les ambiances doivent être très soignés.
La dimension sociale est affirmée, espace «facebook» en trois dimensions, restauration du «nous», propice à l’épanouissement de l’esprit démocratique.
Projet de ce type de bibliothèque à Angoulême et à Thionville.

Synthèse : Mr Bruno, directeur IUT Information-communication de Dijon
Dans un monde en pleine mutation, les bibliothèques cherchent un nouveau modèle ; comme beaucoup d’autres professionnels, les bibliothécaires s’interrogent sur leur métier.


Rédigé par Michèle Soucille, relecture Virginie Loiseau.