Discours d'inauguration du congrès ABF 2018

 

Xavier Galaup, Président de l’ABF

Chers collègues,
Chers amis,

Je voudrais d’abord remercier la ville de La Rochelle pour son accueil et pour sa contribution à notre congrès. Sachez que l’ABF et les congressistes sont très heureux de revenir dans votre ville.

Je voudrais ensuite remercier les membres du comité d’organisation : Stéphanie Teissier-Alonso, Alice Bernard, Eric Bourdeau, Agnès Gastou, Anne Verneuil, nos deux collègues rochelaises Anne Courcoux et Sylvie Fayet… et bien sûr la cheville ouvrière en la personne de notre déléguée générale Olivia de La Panneterie et toute l’équipe des permanents.

Il y a un peu moins d’un an nous étions à Paris où Mme Françoise Nyssen participait à cette séance inaugurale donnant ainsi un signal fort de l’engagement de l’État en faveur des bibliothèques. Mme la Ministre y annonçait le lancement de la mission d’Erik Orsenna dont l’objectif était de faire un tour de France pour à la fois faire un diagnostic de l’existant et être l’ambassadeur d’un élargissement des horaires d’ouverture. Sur notre insistance ce tour de France ne s’est pas limité aux grandes métropoles ou grandes villes mais il a pu aller dans quelques communes périphériques et rencontrer, à travers nos collègues de l’Association des Bibliothèques Départementales, les problématiques des bibliothèques rurbaines et rurales. Deux journées nationales ont été aussi organisées autour de cette mission… qui nous ont laissé, en tant que bibliothécaire, sur notre faim… tout comme le rapport lui-même. L’ABF l’a d’ailleurs écrit dans l’un des ses communiqués : "ce rapport présente l’éventail des possibles en terme d’actions menées, de publics à toucher ou de partenariats à développer ainsi qu’un catalogue de bonnes pratiques, pour la plupart bien connues par nous. Les préconisations de ce rapport restent trop générales et manquent de concret".

Les bibliothécaires en attendaient beaucoup, peut être trop, et à ce stade le compte, n’y est pas, y compris en termes  financiers. Certes une augmentation de la Dotation Générale de Décentralisation de 8 millions cela peut paraître beaucoup, mais en même temps c’est peu au regard des ambitions affichées :

  • ouvrir plus et mieux avec 10 millions de français qui bénéficient d’un élargissement des horaires ;
  • accroître les horaires d’ouverture des villes de plus de 20 000 habitants ;
  • faire des bibliothèques des lieux favorisant l’inclusion numérique et avoir une bibliothèque numérique de référence par département ;
  • faire des bibliothèques des maisons de services publics culturels pour lutter contre les inégalités d’accès aux savoirs et à la culture et pour favoriser l’inclusion notamment des primo-arrivants ;
  • faire des bibliothèques un des lieux privilégiés de l’éducation aux médias et à l’information, notamment la lutte contre les fake news. Cet axe s’appuierait sur des services civiques.

L’ABF a déjà eu l’occasion de le répéter : nous sommes favorables à l’élargissement des horaires, car c’est le premier service à rendre aux habitants, mais toute évolution de ce type nécessite le temps long, du diagnostic territorial au changement des horaires en passant par une phase de concertation, voire de dialogue social s’il s’agit d’ouvrir le dimanche. Il nous paraît à ce stade impossible de demander aux bibliothécaires de dépenser en 2018 les 8 millions de la DGD dédiés à cet objectif. Ceci d’autant plus que le Pacte financier limitant l’augmentation des dépenses de fonctionnement de 1,2% pour un grand nombre de collectivités, réduit leurs marges de manoeuvre quant au recrutement de nouveaux bibliothécaires.

À cela s’ajoute une fragilisation grandissante de nombreuses bibliothèques, des baisses de budget importantes voire drastiques, une baisse globale des moyens notamment en personnel… qui rendent alors difficile non seulement l’élargissement des horaires d’ouverture mais aussi le simple maintien de nos missions de base.

Nous vivons une situation paradoxale où d’un côté les bibliothèques n’ont jamais été autant mises en avant au niveau national, et parfois par ricochet au niveau local, et d’un autre côté les bibliothèques n’ont jamais été autant en difficulté. Outre les baisses de moyens, l’ABF a dû intervenir à La Trinité pour dénoncer la remise en cause de l’accès libre et gratuit aux locaux de la bibliothèque. Une première en France. À force de pression mise à la fois par des usagers, les médias et notre association, les élus sont revenus en arrière et ont transformé ce choix en inscription payante. Par ailleurs, la censure semble à nouveau revenir de manière plus pernicieuse sur des choix de magazines ou même au niveau de l’action culturelle, où les élus souhaitent qu’elle valorise principalement voire uniquement, le patrimoine local au mépris de l’ouverture vers l’extérieur.

Tout cela conforte la nécessité de mettre à l’agenda la question d’une loi sur les bibliothèques. Notre assemblée générale aura à en débattre ce vendredi. Il ne faut pas que le cadre soit trop rigide sur la définition d’une bibliothèque et des normes à respecter. Cependant une clarification des grandes missions de nos structures seraient de nature à donner aux élus locaux une idée plus claire de la compétence à exercer et des obligations associées. Certes la bibliothèque peut être le couteau suisse des politiques publiques en matière d’éducation, de social et de culture mais il ne faut pas non plus que cela soit le prétexte pour aller dans toutes les directions y compris certaines qui n’auraient vraiment plus rien à voir avec un service public culturel autour des collections.

En outre, je le disais déjà l’an dernier à cette tribune, les bibliothèques ont plus que jamais besoin d’un environnement juridique clair et favorable à l’exercice de nos missions de service public concernant la liberté d’acquisition, ou de la programmation culturelle et bien sûr au niveau du numérique pour le droit de prêt des livres numériques et l’accès à des contenus culturels numérisés. Sans oublier les droits sur la lecture publique pour les heures de conte en particulier. L’ABF a d’ailleurs manifesté son désaccord auprès de la SCELF. Nous travaillons avec les auteurs à un accord, qui nous l’espérons devrait être signé avant l’été. Car contrairement à ce qu’à pu annoncer Mme La Ministre de la culture, cette affaire n’est toujours pas, à ce jour, définitivement réglée. Ainsi, Les exonérations demandées par les bibliothèques et les auteurs devraient être accordées sur 5 ans, délai reconductible.

Sur les livres numériques, les catalogues qui nous sont accessibles sont encore trop restreints, les conditions de prêt insatisfaisantes dans certains cas et les coûts d’achat des licences encore prohibitifs pour notre usage. Nous constatons aujourd’hui une impasse dans le modèle mis en place, celui de la négociation entre les différents acteurs de la chaîne du livre : plus aucune avancée concernant les contenus disponibles et une petite avancée sur la question des DRM mais il faudra vérifier dans la pratique si cela correspond bien aux besoins des bibliothèques. Nous demandons à Mme Françoise Nyssen de reprendre le chantier sous un autre angle, notamment à l’aune de l’arrêt “Openbare” de la Cours de Justice Européenne.

Comme l’indique le thème de ce congrès À quoi sert une bibliothèque ?, nos établissements se trouvent placées au cœur des enjeux de société et des débats qui la traversent. Parmi ceux-ci, des questions comme la protection des données personnelles, heureusement mises en avant par la mise en place du règlement européen qui lui est consacrée, était déjà au cœur de notre déclaration sans ambiguïté de janvier 2017 "pour que les bibliothèques restent un espace de liberté pour s’informer". Mais aussi les questions de laïcité et de cohésion sociale, ou encore les phénomènes  de radicalisation qui se posent dans un certains nombre de services publics. En effet, sur le terrain des équipes et des chefs d’établissements y sont confrontés et cherchent des réponses qu’ils n’ont pas toujours, des questions de sécurité des personnes qui engagent notre responsabilité de fonctionnaire comme de citoyen.

Ce débat avait toute sa place dans la rubrique "Débats" notre revue, il a essaimé sur les réseaux sociaux la semaine dernière particulièrement autour de l’article Militant de la liberté ou sentinelle du pacte républicain écrit par Anna Marcuzzi. Je voudrais d’abord dénoncer clairement et fermement, au nom du Conseil National, les attaques personnelles et nominatives dont elle a été victime sur les réseaux sociaux. Ses propos ont été interprétés et déformés en utilisant des extraits sans tenir compte de la posture énoncée au début du texte. Contrairement à ce qu’à écrit une tribune publié contre son texte, Anna Marcuzzi n’a jamais dit qu’il ne fallait pas respecter la loi ni appeler à dénoncer qui que ce soit.

Nous en reparlerons bien évidemment lors de notre Assemblée Générale. Pour celles et ceux qui découvre le sujet, je vous invite à lire l’article d’Anna Marcuzzi et à consulter le forum Agorabib .

Enfin, je dirais que nous sommes à la croisée des chemins, que si l’ambition du gouvernement actuel est bien le développement des bibliothèques, le foisonnement des initiatives pourrait nuire au bon aboutissement de ce volontarisme. Il serait donc peut-être judicieux de se limiter, en concertation avec les bibliothécaires, à quelques objectifs avec des enveloppes financières identifiées et un cadre budgétaire assoupli permettant aux collectivités locales de savoir quelles sont les actions prioritaires du moment. L’ABF appelle d’ailleurs ces dernières à conforter et développer les bibliothèques qui sont des lieux indispensables pour faire société, s’intégrer, acquérir des compétences, découvrir qui on est, comprendre le monde et rêver à l’avenir.