Livres numériques & PNB : point de vue de la diffusion numérique d'Actes Sud

 

Par Matthieu RAYNAUD, responsable des ventes en ligne Actes Sud

C’est à la rentrée 2011 qu’Actes Sud s’est lancé dans le livre numérique. À cette période, ce nouveau marché s’annonçait en fanfare et semblait menacer l’équilibre de l’écosystème papier. Ce trouble et les inquiétudes qu’il véhiculait sont aussi peut-être à l’origine, chez les éditeurs dit traditionnels, de l’intérêt porté à ce nouvel usage de lecture.

Si la TVA à cette époque était encore improbable, la Loi du prix unique du livre numérique offrait un cadre légal plus stable pour développer l’activité.

En phase de création, il fallait quelques pionniers en mission pour traduire auprès des métiers traditionnels d’une maison d’édition le vocabulaire patois tel « Epub », « Bisac », « DRM », « pure-player », « Agency model » avec ou sans clause de « most favorite nation ». Gérer la question des grilles de prix (ou pas)… Bref, tout un poème.

Je crois que c’est cette inquiétude qui a permis d’impliquer de nombreux métiers pour construire le marché. Les juristes devaient inventer des contrats ; les fabricants numériques s’adapter à la chaîne papier, les services financiers devaient plus que jamais traiter des devises, des opérations commerciales, des TVA distinctes ; et même… des « recettes nettes » !

Très vite, Actes Sud a structuré sa vision du livre numérique pour être présent :

  • rejoindre Edenlivres pour mutualiser une solution technique de distribution ;
  • proposer automatiquement aux auteurs une version numérique pour la littérature ;
  • décoter le prix numérique par rapport au prix papier ;
  • commercialiser concomitamment les formats numériques et papier ;
  • réfléchir sur les appels de certains revendeurs visant à dévaloriser les catalogues ;
  • remonter le temps pour obtenir l’accord de commercialiser le fonds.

Moins de 10 ans plus tard, force est de constater que ce fameux marché numérique n’est pas à la hauteur des peurs de déséquilibre de la chaîne du livre papier, qu’il aura engendré. Il représente pour nos catalogues moins de 4 % du chiffre d’affaires. Il constitue en outre plus un confort d’accès auquel les grands lecteurs font appel en mobilité ou en vacances pour le côté pratique, qu’un concurrent « cannibale ». Les silos sont en place, organisés et stables. La concentration des revendeurs de livres numériques est bien là et les « devices » constituent la porte royale pour accéder aux librairies numériques. Nous observons l’absence de nouveaux libraires entrants depuis longtemps. Seul le PNB a permis aux libraires indépendants de reprendre une place dans cet espace. Après une phase forte de construction de marché, place à l’observation pour construire la suite au mieux. C’est-à-dire dans le respect de l’ensemble des maillons de la chaîne du livre. Finalement, c’est peut-être pour de très bonnes raisons que le marché Français du livre numérique reste timide.

FOCUS sur le Prêt Numérique en Bibliothèque 

Début septembre 2015, c’est avec La grande fracture de Joseph E.Stiglitz (Editions Les Liens qui Libèrent) que nous inaugurions la première vente PNB. Les bibliothèques achetaient leurs premiers ouvrages dans ce cadre nouveau via quelques libraires indépendants déjà présents dans le « PNB ». La diversité de notre offre éditoriale devenait ainsi accessible aux bibliothèques.

Avant le PNB, il n’y avait…

… que deux options pour une bibliothèque qui souhaitait mettre à disposition de ses usagers un service de prêts numériques.

La première consistait à choisir un partenaire commercial, dont l’unique modèle d’accès à l’offre numérique était dit en « silo ». Ce partenaire fixait tout : l’offre, les modalités d’achat, le lieu unique d’achat, les coûts de maintenance, etc. Une relation unilatérale qui était inconfortable pour certains bibliothécaires (et libraires) !

La seconde option pour les bibliothèques consistait à reproduire la chaîne du livre numérique, « comme un client particulier ». Il s’agissait alors de faire l’acquisition d’appareils de lecture, de charger des fichiers sur ces derniers après en avoir fait l’acquisition légale auprès d’un libraire en ligne, puis de procéder au prêt de ces liseuses contenant ces titres embarqués.

Si la première option semblait problématique aux yeux des bibliothèques, la seconde faisait s’étouffer quelques auteurs, éditeurs et diffuseurs ! En effet, cette dernière permettait de prêter sans limite de durée dans le temps, soit à vie, à un nombre d’utilisateurs… indéterminé. Un accès illimité au prix d’un livre fixé pour la lecture d’un particulier en somme.

Puisque les usages étaient là, c’est bien de ces deux options inadéquates qu’est née la nécessité de proposer une troisième option. Le modèle PNB.

Un écosystème « ouvert » à inventer qui devrait s’équilibrer avec les contraintes suivantes, exprimées par les deux pôles d’acteurs du livre :

Du côté des bibliothèques :

  • acquérir le droit de prêt pour le plus longtemps possible dans une logique d’acquisition de patrimoine, de construction de catalogue ;
  • une constitution au coût le plus bas possible ;
  • ne pas subir les DRM identifiées comme un frein technique d’usage ;
  • … et donc ne pas prendre en charge ces coûts techniques de protection.

Du côté des éditeurs (en passant par les diffuseurs qui commercialisent ces catalogues numériques) :

  • contrôler le nombre de prêts numériques car le fichier, contrairement au papier, est inusable ;
  • seule possibilité technique en place : utilisation de DRM Adobe ;
  • proposer un prix spécifique en phase avec l’usage de prêts, à savoir : donner l’accès à de multiples lectures via une seule transaction de vente ;
  • laisser le libre choix du libraire à la bibliothèque pour acquérir son offre de prêt.

C’est un peu comme cela que le PNB est né. Par la recherche du modèle le plus équitable pour les deux parties. Inévitablement il a suscité des mécontentements des deux côtés dès le départ mais il est en place et oui, il fonctionne. Oui, les usagers peuvent emprunter numériquement des œuvres récentes en respectant la répartition de la valeur entre les maillons de la chaîne du livre. Et parfois… ils peuvent être plusieurs à le faire en même temps ; un bel avantage sur le prêt de livre papier !

Actes Sud voyait dès le départ de la création du PNB une adéquation en termes de juste rémunération des auteurs d’une part, et une bonne opportunité pour remettre les libraires indépendants dans le paysage de l’économie du livre numérique d’autre part. En effet, en fixant un prix spécifique par fichier pour le Prêt Numérique en Bibliothèque, l’auteur bénéficiait d’une meilleure valorisation correspondant au nombre de lectures effectuées par les usagers. La source d’approvisionnement de cette offre dédiée aux bibliothèques étant les libraires indépendants, notre maison se trouvait particulièrement en phase avec cette vision du marché.

Choisir les critères de l’offre pour un éditeur

Très vite il a fallu déterminer les critères listés ci-dessous. Sans recul, sans usages… Ce qui, comme tout nouveau modèle, aura nécessité de nombreux échanges pour ajuster les paramétrages.

La durée de cette « Licence »

De combien de temps les bibliothèques disposeraient-elles pour pouvoir prêter leur offre ? Nous avons débuté avec une durée de trois ans. Mais très rapidement, les bibliothèques nous ont fait comprendre que ce délai était bien trop court. Qu’il n’était pas pensable d’investir dans un fonds de catalogue pour trois ans seulement. C’est ainsi que nous avons étendu ce réglage en fixant la durée de droit de prêt à sept ans pour les bibliothèques. Certes, nous sommes loin de l’offre pérenne mais c’est une amélioration conséquente au regard des trois années initiales.

Le nombre de prêts autorisés

Combien faut-il permettre de lectures d’une œuvre à partir d’un seul fichier acheté ? Nous avons consulté les statistiques des prêts papier à ce sujet pour nous faire une idée plus précise. D’après cet indicateur, c’est autour d’une cinquantaine de prêts que le livre papier devient physiquement impropre à prêter. Alors que le papier s’use au fil des lectures, comment reconduire cette usure artificielle sur un fichier ? En effet, il s’agissait bien d’imaginer une friction artificielle. Nous avons déterminé trente prêts par fichier.

Le prix d’un fichier PNB

Contrairement au livre papier, il n’existe pas de dispositif de compensation auteur/éditeur dans le cadre du prêt numérique en bibliothèque. Toute la chaîne de rémunération doit être portée exclusivement par le produit de la vente du fichier. L’équation est la suivante : pour une vente à un particulier, le prix est d’environ 30 % moins cher que le papier et ne sera lu que par une personne. Quel doit être son prix lorsqu’il est lu par 30 personnes ? 30 fois plus cher ?! … Nous avons fixé à 1.5 fois son prix.

La question des DRM nous rattrape à cet instant. Pour contrôler le nombre de prêts et ne pas retomber dans le système pratiqué avant le PNB (zéro limite !), nous devions mettre en place des mesures techniques de protection. Si l’on passe sur la facture des dizaines de milliers de dollars dont le distributeur doit s’acquitter pour techniquement être en mesure d’apposer les DRM Adobe ; chaque transaction de prêt coûte 10 centimes d’euros. En attendant LCP, pas de plan B : c’est Adobe. Ces coûts qui permettent la gestion du système de prêts ne sont pas en Europe, contrairement au Canada par exemple, supportés par les bibliothèques ou les libraires. Ce sont donc les éditeurs qui règlent cette addition. Pour illustrer le mécanisme c’est simple : un fichier = 30 prêts = 3 euros par livre qui filent directement chez Adobe.

C’est comme cela que nous avons pu déterminer un prix PNB en prenant en compte celui du prix du livre. Si nous ne le prenions pas en compte, des livres à faible prix seraient en perte à chaque vente (coûts DRM, coûts de distribution, coût Dilicom…).

L’offre disponible

Depuis l’origine nous proposons dans l’offre PNB l’équivalent de l’offre numérique disponible auprès des particuliers. Les ouvrages sont en effet disponibles dès le jour de la mise en vente pour les bibliothèques. Ainsi, les titres que les bibliothèques ne trouvent pas en formats numériques sont simplement indisponibles dans ce format.

Voilà comment nous avons abordé de manière pragmatique et non dogmatique les questions du marché des collectivités sur l’offre numérique.

Les usages se mettent en place et nous ne disposons que de peu de retours directs sur la perception du PNB. La spécificité des catalogues selon les éditeurs, leurs compréhensions et convictions peut donner lieu à différentes visions des paramétrages des offres. En tant que diffuseur nous essayons de trouver les dénominateurs communs qui permettent de présenter les mêmes paramètres pour tous nos éditeurs. Et nous sommes bien conscients que si chaque éditeur est libre quant à la fixation de ses paramètres, la multiplicité des offres possibles complexifie la lisibilité des offres.

Le PNB pour Actes Sud en quelques chiffres :

  • En 2019 le PNB représente 8 % du chiffre d’affaires de l’offre numérique.
  • Catalogue PNB disponible : 4 400 titres.
  • Une offre PNB simultanée à l’offre disponible pour les particuliers.
  • 40 Libraires actifs en 2019.